La saison 1952-1953 fut une période de séparation. Tout d’abord Anouilh quitta Monelle Valentin, et dans le même temps, il fut joué pour la dernière fois au Théâtre de l’Atelier. sous la direction d’André Barsacq qui monta Médée, tragédie inspirée d’Euripide. À son habitude, l’auteur avait actualisé sa pièce qui se terminait par cette imprécation : « Morte ou vivante, Médée est là, devant ta joie et ta paix, montant la garde .Ce dialogue que tu as commencé avec elle, tu ne le termineras qu’avec ta mort maintenant… ».
Le public et la critique boudèrent le spectacle. Il était temps que Jean Anouilh revienne à des pièces plus aimables.
Gardant secrète sa vie privée, Jean Anouilh épousa le 30 juillet 1953, à Worhing, dans le comté de Sussex, une jeune comédienne, Nicole Lançon. La presse ne fit état de cette union qu’en 1956, lorsque l’actrice fera partie de la distribution de Pauvre Bitos. Au cours des années suivantes, Jean et Nicole Anouilh auront la joie d’avoir trois enfants, Caroline, Nicolas et Colombe.
Mais nous n’étions encore que le 15 octobre 1953, le soir où le rideau du théâtre Montparnasse se lève sur L’Alouette, dans une mise en scène de l’auteur et de Roland Pietri, des décors et des costumes de Jean-Denis Malclès.
Avant d’écrire sa première réplique, l’auteur avait relu consciencieusement L' Histoire de France de Michelet et prit des notes sur l’interrogatoire de Jeanne d’Arc, tout en se réservant le droit d’inclure subrepticement, dans son texte, des allusions à l’Occupation allemande, à la Collaboration et la Libération.
Après le récent échec de Médée, Jean Anouilh était très inquiet : « La veille de L' Alouette je rasais les murs du théâtre ». Et cette fois ce fut un triomphe à tel point que le critique Jacques Lemarchand le compara à celui de Cyrano de Bergerac , que Francis Ambrière y découvrit « une œuvre considérable » et que le redoutable Jean-Jacques Gautier exulta : « Une de mes plus belles heures de théâtres, œuvre exceptionnelle (…) Anouilh s’affranchit de son habituelle désolation au profit du sens de l’espérance, d’une sorte de joie profonde, allégresse intime ». Un nuage néanmoins dans le ciel des louanges, il provenait de journalistes d’organes bien pensants, La Croix et Aspect de la France qui reprochai ent à l’auteur d’avoir dépeint l’héroïne comme : « une sainte un peu boulevardière » et « une camarade à soldats ».
En dépit de ces quelques réticences, la pièce fit salle comble pendant six cent huit représentations et grâce à elle, deux jeunes comédiens interprétant les respectivement les rôles de Jeanne et de Charles VII devinrent célèbres : « Suzanne Flon… Que dire d’elle ? Elle nous est apparue comme une très, très, très grande comédienne (…) Michel Bouquet ne s’est jamais montré plus étonnant, plus juste, plus fascinant, plus intelligent … ».
Après ce triomphe, le spectacle suivant fut, malheureusement, un demi-échec. Il s’agissait d’ Ornifle ou le courant d’air présenté à la Comédie des Champs-Élysées, en novembre 1955. S’étant inspiré de Molière, Anouilh présentait ainsi sa pièce : « C’est l’histoire d’un homme qui a décidé que la vie était facile et qui ne prend rien au sérieux. Il n’atteint évidemment aucun résultat et finalement est écrasé par la vie, comme Don Juan, par le commandeur ; c’est d’ailleurs une sorte de don juan qui meurt sans avoir fait autre chose que déplacer de l’air ».
Au soir de la Répétition Générale, Jean Anouilh ne paraissait guère satisfait et d’après le critique Gabriel Marcel , il aurait retravaillé sa pièce au cours des représentations suivantes. Hélas ni coupures, ni becquets ne suffiront à faire d' Ornifle un chef-d’œuvre. Et les journalistes Roger Nimier, Morvan Lebesque, Jean-Jacques Gautier, Roland Laudenbach, réunis dans un débat organisé par l’hebdomadaire Arts se dirent impatients qu’Anouilh leur fournissent enfin le théâtre de mœurs et de caractères dont il était capable.
Jean Anouilh En marge du théâtre Éditions de La Table ronde 2000
Le Figaro Littéraire 10 octobre 1953
Paris-Comédia 22 octobre 1953
Le Figaro 16 octobre 1953
Le Figaro 16 octobre 1953
A. Dulière Rencontre avec la gloire Éditions Duculot 1959
Les Nouvelles littéraires 12 janvier 1956